23 janvier 2025 Article

Recherche et innovations dans la psychiatrie sociale suisse – Résultats 2024

Jérôme Favrod, Président du comité scientifique de la Société suisse de psychiatrie sociale, Goumoens-la-Ville

Cette brève revue propose une rapide synthèse des résultats de la recherche en psychiatrie sociale sur la base de mes alertes Web of Science 2024. Je vous propose des entrées par thématiques pour faciliter la lecture avec un résumé des études et leurs implications pour la pratique. Les équipes suisses qui travaillent en psychiatrie sociale mettent en avant des recherches innovantes dans la prise en soins, le soutien au logement, l’intégration socioprofessionnelle, et les pratiques cliniques modernes. Elles soulignent aussi un effort collectif pour réduire les pratiques coercitives, renforcer l’inclusion sociale et adapter les interventions aux besoins spécifiques des patients et de leurs familles. Cette mini revue cherche à mettre en évidence les implications cliniques, économiques et politiques des travaux de recherche en psychiatrie sociale.

Comparaison des modèles de logement soutenu indépendant avec des logements institutionnels pour les personnes atteintes de troubles mentaux graves, montrant des améliorations significatives de la qualité de vie et des coûts réduits avec le logement soutenu (Adamus, Motteli, Jager, & Richter, 2024). Cette étude longitudinale compare deux approches de logement pour les personnes atteintes de troubles mentaux graves. Dans le cadre du logement soutenu indépendant, les participants vivent dans des appartements autonomes avec un accompagnement régulier fourni par des professionnels. Dans le cadre du logement institutionnel, les individus résident dans des établissements offrant des soins encadrés en milieu communautaire. Les résultats montrent que les participants bénéficiant du logement soutenu indépendant rapportent une meilleure qualité de vie, une plus grande satisfaction et un sentiment accru d’autonomie par rapport à ceux logés en institution. Le logement indépendant s’avère moins coûteux à long terme, en raison de la diminution des besoins en soins intensifs et de l’utilisation plus efficace des ressources. Les résidents du logement soutenu montrent une meilleure stabilité psychologique et sociale, notamment grâce à un environnement plus proche du mode de vie ordinaire. Les résultats soutiennent l’idée que le logement soutenu devrait être favorisé pour promouvoir l’autonomie et l’intégration des personnes atteintes de troubles mentaux graves. Cela nécessite un accompagnement personnalisé pour assurer une présence régulière d’intervenants pour fournir un soutien adapté aux besoins individuels des résidents, tout en évitant une dépendance excessive. Des politiques favorisant le logement soutenu pourraient réduire les dépenses des systèmes de santé tout en améliorant les résultats cliniques et sociaux.

Une méta-analyses sur les préférences d’emploi des personnes atteintes de troubles mentaux, montrant un fort désir de travailler dans des environnements compétitifs (Adamus, Richter, Sutor, Zuercher, & Moetteli, 2024). Cette méta-analyse examine les préférences professionnelles des personnes atteintes de troubles mentaux. Les résultats révèlent que la majorité des individus souhaitent travailler dans des environnements compétitifs plutôt que protégés. Ces préférences sont motivées par un besoin d’autonomie, d’estime de soi et d’intégration sociale. Cela souligne l’importance de promouvoir des stratégies facilitant l’accès au marché du travail ordinaire.

Adaptation de programmes tels que l’Individual Placement and Support pour les personnes atteintes de troubles de la personnalité borderline (Dunand, Golay, Bonsack, Spagnoli, & Pomini, 2024). Cette étude qualitative explore l’adaptation du programme IPS, qui vise l’insertion professionnelle, pour les personnes atteintes de troubles de la personnalité borderline. Les chercheurs ont identifié des ajustements nécessaires, tels qu’un soutien accru dans la gestion des émotions et des relations interpersonnelles et des interventions flexibles pour répondre aux fluctuations des symptômes. Les résultats montrent que l’IPS, lorsqu’il est adapté, semble une stratégie efficace pour cette population, renforçant leur engagement et leurs chances de réussite.

Les deux études mettent en évidence le fort désir des individus atteints de troubles mentaux de participer activement à des emplois ordinaires, ce qui va au-delà des environnements protégés souvent proposés. La flexibilité et l’adaptation des programmes d’accompagnement, comme l’IPS, sont essentielles pour répondre aux besoins spécifiques des différentes populations (e.g., troubles de la personnalité borderline). Ces travaux montrent la nécessité de promouvoir des politiques d’inclusion professionnelle renforçant les compétences individuelles tout en sensibilisant les employeurs. Il semble également utile d’intégrer des approches thérapeutiques dans les programmes d’emploi pour répondre aux besoins émotionnels et relationnels des participants.

Impact de la séclusion sur la santé mentale des patients hospitalisés (Baggio, Kaiser, & Wullschleger, 2024). Cette étude explore l’impact de la mise en isolement sur les patients hospitalisés en psychiatrie. Les résultats montrent des conséquences négatives significatives, notamment une aggravation de l’état mental des patients concernés. Ces résultats remettent en question l’efficacité de la séclusion comme outil thérapeutique.

Analyse des attitudes des professionnels face à la coercition et exploration de solutions pour réduire les perceptions de coercition chez les patients (Morandi et al., 2024).

Cette étude examine comment les attitudes des professionnels influencent les perceptions des patients hospitalisés involontairement. Les chercheurs identifient la prise de décision participative et la perception d’équité comme facteurs clés pour réduire le sentiment de coercition. Des solutions telles que l’amélioration des processus de communication et une plus grande implication des patients dans les décisions sont proposées.

Examen des justifications éthiques et juridiques des mesures coercitives en psychiatrie sont soutenues par des données empiriques et des concepts théoriques.

(Richter, 2024).  Richter analyse cinq critères pour légitimer les mesures coercitives en psychiatrie, tels que l’efficacité thérapeutique et la restauration de l’autonomie. Aucune de ces justifications ne trouve un soutien empirique ou éthique. L’auteur conclut que les interventions coercitives doivent être abandonnées et remplacées par un système exclusivement volontaire.

Ces trois études soulignent des impacts négatifs, tant pour les patients (séquelles psychologiques, sentiment d’injustice) que pour le système de soins (perte de confiance). Les solutions proposées incluent une approche centrée sur le patient, une communication améliorée et la mise en œuvre de stratégies non coercitives comme les soins communautaires ou la participation active des patients. Ces travaux s’alignent pour rejeter les justifications traditionnelles de la coercition, renforçant l’idée d’une transition vers des modèles de soins volontaires et respectueux des droits humains.

Efforts pour optimiser les parcours de soins des jeunes à risque clinique élevé pour la psychose (Bailey et al., 2024). Bailey et al. (2024) ont examiné des initiatives visant à améliorer les parcours de soins des jeunes identifiés comme étant à risque élevé de développer une psychose. L’accent a été mis sur l’accès précoce à des services spécialisés et sur la coordination des soins. Ces efforts ont montré une amélioration de l’engagement des patients et une réduction des délais avant le traitement.

Études sur les différences de genre et les facteurs influençant le rétablissement à trois ans après un premier épisode psychotique (Salvade et al., 2024). Cet article explore les différences de genre et les facteurs influençant le rétablissement à trois ans après un premier épisode psychotique. Les résultats révèlent que les hommes et les femmes présentent des trajectoires distinctes, avec des besoins spécifiques en matière de prise en charge. Ces différences soulignent l’importance d’élaborer des stratégies thérapeutiques adaptées au genre.

Profils de coping chez les parents et les frères et sœurs de personnes atteintes de schizophrénie (Plessis, Rexhaj, Golay, & Wilquin, 2024). Cette étude explore les stratégies de coping des parents et frères et sœurs de personnes atteintes de schizophrénie. Les parents privilégient des approches émotionnelles, tandis que les frères et sœurs adoptent des stratégies axées sur la résolution de problèmes. Les parents, souvent plus impliqués, présentent des niveaux de stress élevés, soulignant le besoin de programmes de soutien différenciés.

Défis dans le soutien des aidants familiaux et propositions d’améliorations pratiques (Van, Rexhaj, Coloni-Terrapon, Alves, & Skuza, 2024). Les auteurs ont identifié un écart significatif entre le soutien nécessaire et celui réellement offert aux aidants familiaux. Les défis incluent un manque de formation, une charge émotionnelle et physique élevée, et un soutien institutionnel insuffisant. Les auteurs recommandent des ateliers éducatifs, un accès accru au soutien psychologique, et une meilleure collaboration entre aidants et professionnels.

Modèles éducatifs inspirés du stand-up pour améliorer la compréhension des problèmes de santé mentale (Bonsack et al., 2024). Cette étude pilote explore un modèle éducatif innovant basé sur les principes du stand-up, combinant humour et expériences émotionnelles pour enseigner les problèmes de santé mentale aux professionnels de la santé.  L’approche renforce la compréhension émotionnelle et cognitive des troubles mentaux, améliorant la capacité des participants à interpréter les expériences vécues par les patients. L’utilisation d’humour et d’expériences interactives augmente l’engagement des apprenants et favorise une meilleure rétention des concepts enseignés. Les professionnels ayant suivi cette formation se sentent plus à l’aise pour aborder des sujets sensibles avec les patients et collègues.

Priorités de recherche en soins infirmiers en Suisse, soulignant les besoins globaux et locaux (Stadtmann et al., 2024). Cette étude, que je révise sous l’angle de la psychiatrie sociale, présente une mise à jour de l’agenda de recherche en soins infirmiers en Suisse, réalisée à travers un processus participatif impliquant professionnels, patients et décideurs. Il identifie des axes de recherche dans les domaines suivants :

Cet agenda veut aussi promouvoir des collaborations interdisciplinaires pour adresser des enjeux complexes et impliquer activement les patients dans les projets de recherche pour maximiser leur pertinence.

Ces deux études mettent l’accent sur des méthodes pédagogiques et des axes de recherche qui répondent aux besoins actuels des professionnels et des patients. Le stand-up et les consultations participatives favorisent une meilleure compréhension des enjeux de santé mentale et des priorités en soins infirmiers.  Ces travaux soulignent la nécessité d’intégrer des approches spécifiques à la Suisse, tout en tenant compte des tendances globales en santé et en formation.

En conclusion, la récolte 2024 des travaux scientifiques en psychiatrie sociale est d’excellente qualité. Il ne s’agit que d’une sélection des travaux publiés qui visent à montrer les tendances actuelles. Les articles sont publiés en accès ouverts ce qui montre l’intérêt de partager les résultats de recherche avec la communauté.

Adamus, C., Motteli, S., Jager, M., & Richter, D. (2024). Independent Supported Housing vs institutional housing rehabilitation settings for non-homeless individuals with severe mental illness – longitudinal results from an observational study. Bmc Psychiatry, 24(1). doi:10.1186/s12888-024-05995-7

Adamus, C., Richter, D., Sutor, K., Zuercher, S. J., & Moetteli, S. (2024). Preference for Competitive Employment in People with Mental Disorders: A Systematic Review and Meta-analysis of Proportions. Journal of Occupational Rehabilitation. doi:10.1007/s10926-024-10192-0

Baggio, S., Kaiser, S., & Wullschleger, A. (2024). Effect of Seclusion on Mental Health Status in Hospitalized Psychiatric Populations: A Trial Emulation using Observational Data. Evaluation & the Health Professions, 47(1), 3-10. doi:10.1177/01632787231164489

Bailey, B., Solida, A., Andreou, C., Plessen, K. J., Conus, P., Mercapide, M., . . . Armando, M. (2024). Pathways to care in youth and young adults at clinical high risk for psychosis in Switzerland: Current situation and clinical implementation of the PsyYoung project. Early Intervention in Psychiatry, 18(11), 960-967. doi:10.1111/eip.13540

Bonsack, C., Favrod, J., Berney, A., Sohrmann, M., Frobert, L., & Nguyen, A. (2024). Stand-up-comedy inspired experiential learning for connecting emotions and cognitions in healthcare education: A pilot study. Innovations in Education and Teaching International, 61(2), 385-397. doi:10.1080/14703297.2022.2159853

Cruz, G. V., Aboujaoude, E., Rochat, L., Bianchi-Demicheli, F., & Khazaal, Y. (2024). Online dating: predictors of problematic tinder use. Bmc Psychology, 12(1). doi:10.1186/s40359-024-01566-3

Dunand, N., Golay, P., Bonsack, C., Spagnoli, D., & Pomini, V. (2024). Good psychiatric management for borderline personality disorder: A qualitative study of its implementation in a supported employment team. Plos One, 19(3). doi:10.1371/journal.pone.0299514

Morandi, S., Silva, B., Pauli, G., Martinez, D., Bachelard, M., Bonsack, C., & Golay, P. (2024). How do decision making and fairness mediate the relationship between involuntary hospitalisation and perceived coercion among psychiatric inpatients? Journal of Psychiatric Research, 173, 98-103. doi:10.1016/j.jpsychires.2024.03.017

Plessis, L., Rexhaj, S., Golay, P., & Wilquin, H. (2024). Coping profiles of family caregivers of people with schizophrenia: differentiations between parent and sibling caregivers. Journal of Mental Health, 33(2), 244-252. doi:10.1080/09638237.2022.2156986

Richter, D. (2024). Coercive Measures in Psychiatry Can Hardly Be Justified in Principle Any Longer-Ethico-Legal Requirements Versus Empirical Research Data and Conceptual Issues. Journal of Psychiatric and Mental Health Nursing. doi:10.1111/jpm.13129

Salvade, A., Golay, P., Abrahamyan, L., Bonnarel, V., Solida, A., Alameda, L., . . . Conus, P. (2024). Gender differences in first episode psychosis: Some arguments to develop gender specific treatment strategies. Schizophrenia Research, 271, 300-308. doi:10.1016/j.schres.2024.07.046

Stadtmann, M. P., Bischofberger, I., Balice-Bourgois, C., Bianchi, M., Burr, C., Fierz, K., . . . Zigan, N. (2024). Setting new priorities for nursing research: The updated Swiss Nursing Research Agenda-a systematic, participative approach. International Nursing Review, 71(3). doi:10.1111/inr.12937

Van, K. L., Rexhaj, S., Coloni-Terrapon, C., Alves, M., & Skuza, K. (2024). Informal caregivers in adult psychiatry: Is there a (mis)match between the support needed and the support offered? Sante Publique, 36(2). doi:10.3917/spub.242.0045